Licences libres et droit à l'image : Différence entre versions

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->Voici une analyse, suscitée par de nombreux questionnements que j'ai pu rencontrer, renforcée par le constat d'une absence d'articles vraiment complets sur cette question, ou alors insuffisamment pragmatiques (ce qui n'est pas un reproche, mais une simple constatation).

Nous partons pour cette étude d'une situation des plus classiques : celle d'un photographe, auteur, qui se voit opposer le droit à l'image de celui figurant sur sa photographie. Cette question, à l'égard licences libres, répond à une question beaucoup plus large qu'il est utile de ramener à sa juste échelle : celle du droit d'auteur, quelle qu'en soit ensuite l'utilisation qui en est faite. Il est nécessaire de tracer une ébauche rapide des droits exclusifs (I) qu'instaure la propriété intellectuelle, afin d'examiner plus précisément les autres droits concurrents à ces premiers, et enfin dresser un panorama exhaustif des solutions qui peuvent être apportées (II).

I - Des droits exclusifs concurrents

A- Les droits de Propriété Intellectuelle

Nous savons que l'auteur d'une création originale jouit de « droits d'auteur » sur son oeuvre. Parallèlement, les artistes-interprètes jouissent de droits similaires sur leurs interprétations, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sur ceux-ci, etc. La propriété intellectuelle confère dans sa globalité des droits exclusifs, et finalisés, qui s'apparentent – pour simplifier – aux droits d'un propriétaire sur sa chose. Dès lors, c'est par sa faculté d'aliéner ses biens qu'un auteur peut céder ou licencier son oeuvre, de la faire circuler à l'instar d'une marchandise quelconque (pas besoin ici de s'attarder sur les droits moraux). Néanmoins, ce pouvoir exclusif peut se retrouver limité dans son exercice lorsqu'il entre en conflit avec d'autres droits touchant à l'œuvre : au sein de la propriété intellectuelle lorsqu'un droit voisin vient faire obstacle à un droit d'auteur (un artiste interprète qui veut bloquer la diffusion de l'oeuvre) ; ou vis-à-vis d'autres droits incorporels, comme le droit à l'image. La première situation est régie par le CPI (au détriment des droits voisins), mais la deuxième mérite d'être approfondie.

B- Le droit à l'image

Si l'image que l'on a d'une chose, ou plutôt notre perception de cette chose, fut source de débat philosophique pendant de nombreux siècles et que la réponse appartient plus à l'ordre des croyances que de la science, il est impossible de nier le lien étroit qui existe entre une personne et son image, et — dans une moindre mesure — entre une chose et son image.

1- Le droit à l'image des biens

Si la question de la propriété de l'image d'une bien fut sujette à de longs débats doctrinaux (voir notamment la thèse de Bérengère Gleize sur l'image des biens), il n'est pas ici question de les retracer. L'Assemblée Pleinière de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 7 mai 2004, Société Hôtel de Girancourt c/ SCIR Normandie et a., trancha définitivement la question : « Mais attendu que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ». Alors qu'auparavant l'exploitation d'un bien sous la forme de photographies portait atteinte au droit de jouissance du propriétaire, cette exploitation est aujourd'hui admise tant qu'elle ne constitue pas un trouble anormal (création prétorienne à rapprocher du trouble anormal du voisinage). C'est donc les Juges qui apprécieront si l'usage fait de l'image du bien porte préjudice ou non au titulaire de ce bien (imaginons une diffusion qui suscite un flot régulier de touristes, source de désagréments et d'usure de la propriété).

2- Le droit à l'image des personnes

Nous touchons ici à un droit de la personnalité : l'image constitue une partie de la personnalité de l'individu et il possède à ce titre un droit exclusif sur celle-ci. Deux articles sont fréquemment cités pour reconnaître un droit sur l'image d'une personne : l'article 9 du Code Civil, qui dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée [...] », et l'article 226-1 du Code Pénal qui prévoit « un an d’emprisonnement et 45 000,00 euros d’amende pour atteinte à la vie privée en fixant, enregistrant ou transmettant sans le consentement de celle-ci l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé » (les articles 226-2 et 226-8 pourraient aussi être nommés). Ces deux articles portent sur le respect dû à la vie privée et beaucoup soutiennent encore que le droit à l'image fait partie de cette vie privée. Néanmoins, la jurisprudence a progressivement reconnu un droit à l'image qui est autonome (et donc bien plus facilement opposable), permettant à chacun de disposer de droits sur la reproduction du son image (et la rediffusion de celle-ci) ainsi même que l'image « vivante » (voir par exemple la décision de la 1re Chambre civile de la Cour de Cassation, du 10 mas 2005). Ce droit (soumis à autorisation du tuteur pour un sujet mineur), qui s'opposerait donc de front avec les droits des auteurs est heureusement parfaitement aliénable (puisqu'il ne fait pas partie de la liste limitative de la Loi énumérant les biens inaliénables). C'est donc par les contrats qu'il faut gérer les situations conflictuelles.

II - Les conflits entre ces droits

Après ce bref descriptif, deux catégories de droits exclusifs sont mises en évidence, et il est nécessaire de s'intéresser à la façon dont elles peuvent s'agencer. La reproduction de l'image d'une personne (ou de sa voix, etc.) doit être autorisée par celui auquel elle appartient. En l'absence de dispositions particulières, les Juges appliquent un régime assez proche de celui du droit d'auteur (imposant une limitation temporelle et spatiale, une précision des usages et destinations, etc.). Néanmoins, ce droit cesse d'être opposable lorsque l'image n'est plus l'objet de la photographie, mais uniquement un accessoire, un détail : foule anonyme par exemple, mais aussi toutes les photographies d'actualités, ou celles des personnalités publiques (notamment politiques). Il est par ailleurs intéressant de constater que l'image d'une personne est en quelque sorte préalable à l'oeuvre, dans la même mesure que l'oeuvre est préalable à l'interprétation : la première existe sans la seconde, tandis que la seconde nécessite la première.

A - Une application du droit national quelles que soient les nationalités en jeu

Une question doit être évacuée : dans quelles conditions une photographie mettant en jeu des protagonistes internationaux est-elle sujette au droit français ? Il s'agit ici d'une question de Droit International Privé : le cas relève de la responsabilité civile délictuelle du photographe, la loi et les tribunaux compétents dépendent de la lex loci delicti (loi du lieu où le dommage (est subit) — le dommage étant réalisé par la diffusion des images ou de l'oeuvre concernée). Par exemple, si une image est communiquée par le biais d'un magazine diffusé en Europe, les personnes qui y figurent peuvent attaquer en chaque lieu de diffusion du magazine : alors dans chacun des pays, les tribunaux sont compétents et leur droit est applicable (mais l'indemnisation est limitée à la part du préjudice subi dans ce pays. Mais elles peuvent aussi choisir de poursuivre le distributeur, voire l'auteur, dans le pays où se trouve l'éditeur du magazine. Alors, le droit de ce pays est applicable, et le tribunal de ce pays est compétent pour traiter de l'ensemble du préjudice (arrêt CJCE Fiona Shevill 1995).

B - La flexibilité apportée par le consensualisme

1 - La formation du contrat

Devant cette situation, plutôt défavorable à l'auteur, il est conseillé à l'auteur de recueillir systématiquement l'accord de ses sujets. Néanmoins, l'existence d'un tel contrat peut aussi se révéler source de flexibilité pour les parties, puisque – à défaut de dispositions contraires – les conventions portant concession du droit de jouir de l'image d'une personne relèvent du droit commun des contrats (mis à part la situation où l'image est celle d'un artiste interprète - article L. 212-3, al. 1, du CPI). Le contrat peut aussi parfaitement être tacite, et c'est même l'usage reconnu dans la pratique des photos-filmeurs, documentaires, etc., et même découler de la collaboration de l'intéressé, ou de son absence d'opposition. Mais même le meilleur des contrats est inutile lorsqu'il ne peut pas être prouvé (en référence, par exemple, aux accords tacites acquis auprès des ethnies autochtones)...

2 - La preuve du contrat

Ainsi, concernant la preuve d'un tel contrat, il faut aussi appliquer le droit commun : celui qui se prévaut d'un contrat doit en démontrer l'existence et les conditions. Les conventions étant des actes juridiques, elles doivent être prouvées obligatoirement par un écrit dès lors que leur valeur dépasse les 1500 € (Article 1341 du Code Civil), sauf à prouver l'impossibilité matérielle ou morale d'établir un écrit (Article 1348 du Code Civil - on revient alors à la preuve par tout moyen). Cette dernière atténuation étant envisagée de façon assez extensive par les juges, afin de coller à la réalité et à la pratique des métiers et des contrats mis en jeu, il n'est pas utopique d'utiliser — souvent en dernier recours — cet argument devant les juges.


Pour conclure : cet article n'est pas destiné à favoriser l'usage non autorisé d'image d'autrui, et la meilleure des sécurités consiste à faire signer un contrat bien réel (en double exemplaire). En effet, un contrat peut très bien être valablement formé, sans pour autant pouvoir être prouvé ; et cette condition de la preuve étant délicate à remplir, il ne serait possible de s'en dispenser qu'en cas d'impossibilités matérielles ou morales (dont leur reconnaissance est assez fréquente, mais il s'agit néanmoins d'impossibilités). Donc, s'il ne faut pas qu'un formalisme inadapté à certaines activités vienne les gangréner, il ne faut pas non plus passer à l'extrême inverse et s'abstenir systématiquement de formalisme.

--Mben 28 février 2008 à 12:23 (CET) 28/01/2007 19:45, pour Veni, Vidi, Libri